Objectif

Mon objectif pour l’heure outre réussir à faire trois fois le tour du parque en moins de soixante minutes est de cesser de courir en vain dans tous les sens sans ne jamais atteindre aucun but. Le défit est de taille sachant que je ne peux pas indéfiniment tenter de rattraper le temps perdu sans en sacrifier une autre partie nettement supérieure à celle que je tente désespérément de retrouver. Il faut bien l’admettre, cette année m’a échappée de bout en bout depuis le début, elle m’a glissé des doigts dès la première seconde sans que je ne puisse rien faire pour freiner son déroulement immuable, la regardant passer, attendant résigné. Pour cesser une bonne fois de tourner en rond dans Madrid, de Huertas à Sol, de Sol à Callao, de Callao à Malasaña après avoir traversé la Gran Vía et fait une halte sur la place 2D, puis repartant vers celle plus petite de Chueca où j’évite de m’arrêter par cette chaleur, et de Chueca à Salamanca, redescendant vers Goya, vers le Retiro ou j’essaye en vain au petit trop de battre mon record de vitesse de demi fond et enfin du parque à la maison en faisant un crochet par Atocha, il me fallait un objectif. J’aurai bien pu continuer de piétiné ainsi pendant des lustres ou au moins ce qui restait de l’année en cours, mais j’étais fatigué! Je pourrai aussi tourner dans l’autre sens pour découvrir des paysages et personnages que je ne voyais que de dos ou aller battre le pavé ou la campagne. De capitales grouillantes en bourgs perdus, foulant des terres arides, roulant dans l’herbe verdoyante de champs en friche, parcourant vallons et coteaux et leurs versants arborescents, usant mes crampons sur la caillasse ou les corniches de quelques montagnes ou sommets enneigées, m’enfonçant dans des sables mouvants [émouvant] ou tout simplement stopper net pour briser le cercle. Prendre une direction, une décision bonne ou mauvaise et s’y tenir. Remettre en route de vieux projets délaissés. Le travail comme toujours serait secondaire, marginalisé, laissé de côté au profit de l’aventure et la part belle faite au rêve et à l’évasion qui conduisait ma vie où que j’aille depuis si longtemps! Il y avait tout d’abord ce voyage à travers le continent qui me fascinait et que je reconduisais d’année en année malgré moi depuis déjà trois ans. La rédaction définitive d’un récit entrepris à la même date et qui était passé successivement de mon cahier au PC, puis de la mémoire du HP à celle d’un CD Rom qui croupissait dans la pénombre d’un tiroir. Au fin fond du placard, entre les piles de pulls et de livres sentant bon la lavande, ils séjournaient là aux côtés d’autres blocs regroupant d’autres notes, les brouillons du blog et quelques écrits impubliables. Au milieu de ce champ de ruines intellectuelles et vestimentaires, bien à l’abri des modes, ils patientaient depuis plus mille jours. Les mots attendant d’être reconsidérés à leur juste valeur, pour s’extirper de là et jaillir sur l’écran de mon ordinateur où s’unissant à d’autres nouveaux ils achèveraient l’histoire dont ils faisaient partis. La mienne, que je jetterai en pâture à mes lecteurs voraces et peu regardant pourvu que les maux décrits les éloignent un temps des leurs. Si je choisissais le voyage, l’écriture devrait attendre encore un peu, après tout elle n’était plus à cela près. Si je la préférais à la muse vagabonde qui devait m’entraînerait à travers l’Europe et au delà, c’est le voyage ajourné moribond jusqu’à ce que le livre soit terminé qui devrait patienter jusqu’à ce que je me décide à plier bagages.