Dandy
J’ai délaissé ma sirène après avoir abusé d’elle pendant une heure et demi pour aller goûter les charmes d’une autre. Ce matin il neige, et, le cul enfoncé dans mon gros fauteuil, je contemple d’en haut la cité qui s’éveille. De la mezzanine du Starbucks de Callao pour être exact. Edward Norton à l’affiche au cinéma d’en face me fait de l’œil! C’est qu’il tient une place importante dans ma vie ce bon vieux Ed, et ses personnages ont souvent nourris mon imaginaire film après film. Je me rapproche de plus en plus de lui ou plutôt de "Monty" le personnage qu’il incarne dans The 25th hour de Spike Lee. Car bien sûr Monty, ce n’était pas lui, il l‘avait créé de toutes pièces pour les raisons du film! A moins que ce ne fut Edward Norton qui emprunta la vie de Monty? D’un autre? Car il devait bien exister quelque part un gars comme ça? On est jamais vraiment certain que de ce que l‘on voit, et moi quand je regardais Edward Norton je voyais Monty et vis et versa. La place est belle quand comme moi on a l‘imagination galopante ! Qui était ce Monty? Après tout ce type, ce pouvait tout aussi bien être moi! Mêmes allures de dandy, je me baladais mains dans les poches de mon trench-coat, remontant la figure au vent l’avenue principale d’une ville fantôme, ici, quelque part au sud de nulle part. Mal rasé, le regard vide, je contemple la vie qui m’échappe, comme si ma dernière heure allait sonner. Ma compagne a le charme naturel de l’Amérique latine, cette Amérique lointaine où je ne suis jamais allé faute de temps et d‘argent, là bas, de l’autre côté du charco! De mes meilleurs amis, l’un est boursicoteur, l’autre est intermittent de l’enseignement publique ou prof intérimaire ce qui revient au même. Il ne me manque que le clébard mal léché [je l’avais mis sur ma liste de noël] pour que la ressemblance soit totale. La vue sur l’estanque du Retiro valant bien après tout celle de Battery Park. Moi aussi je m’étais vu plus d’une fois loin de chez moi, réunissant femme et enfants et leur racontant qui j’étais et d’où je venais. Pourquoi nous étions là, tous, et combien il s’en était fallut de peu pour rien n’arriva. Pour que, ni eux ni moi ne voyons jamais l’aube d’un jour nouveau. Je ne fuyais ni la justice, ni mon pays, je me fuyais moi-même! Chaque fois me retrouvant puis me perdant à nouveau. Trafiquant d’âmes, voilà mon seul délit! Pourquoi remettais-je toujours tout en question, Pourquoi quiétude et sérénité cédaient irrémédiablement leurs places au chaos et la destruction? Le confort même précaire valait toujours mieux que la précarité à long terme! C’est que comme Lester Murphy, j’étais un « joueur », et que comme lui j’en voulais toujours plus, trop parfois et me retrouvais sur la paille ou je faisais mon lit. Mon Teddy K.G.B. à moi avait durant des années épousé la figure joviale d’une peluche, non pas un ours mais un lion. Dissimulant derrière ses traits bonhommes un appétit féroce qui dès mes débuts dans la vie active avait eu raison de mes économies, se pourléchant les babines par avance de mes déboires futurs. Le crédit lyonnais, via sa cupide mascotte m’avait consenti sans sourciller prêts et crédits que j’avais du rembourser par la suite au quintuple, engendrant pour se faire d’autres crédits pour renflouer les premiers. Je m’étais ainsi consciemment précipité bans une brèche dont il me fallut des années pour sortir. Outre la généreuse identité bancaire qui avait elle pignon sur rue, l’autre de mes mères maquerelles, se trouvait être ni plus ni moins que l’état français, auquel selon ses dires je devais de l’argent. En bon usurier, il majorait sans fin des impôts certes impayés mais qui au seul regard des majorations acquittées l’eurent été dix fois et depuis belle lurette! Bref, ma situation financière n’était pas en ces jours très brillante, et il y avait peu de chances que les choses ne s‘arrangent, ou alors il faudrait un miracle. Mais la foi n’ayant pas de place sous mon toit, il ne me restais que la patience! Attendant toujours un coup d’éclat, espérant le contrat qui seul me sortirait du gouffre. Seuls les recommandés de la banque, arrivaient jusqu‘à ma porte, comme les émissaires de l’état qu’il trouvait plus judicieux de me dépêcher directement, faisant l’économie d’un timbre dont l‘argent de toute façon serait arrivé dans ses caisses. Il n’était donc pas rare qu’un huissier vint frapper à ma porte au petit matin, oubliant les croissants et me privant de café. Je me souviens du jour où la directrice de l’agence du en ces temps ancestraux, toujours crédit lyonnais avait eu la diligence de m’appeler elle même, me proposant un rendez vous le surlendemain dont le but unique était selon la formule de faire "le point" sur ma situation. Alors que le jour de l’entrevue approchait, j’échafaudais mille et unes excuses, mil et un scénarios, pour avoir plus de temps, por pouvoir repousser le délai ou la sentence tomberait. "Interdit bancaire", ça serait la fin de tout! Le coup de machette sur mes espérances futures, l’asphyxie à petit feu sans possibilité d’en réchapper! Mais s’il y eu des journées tragiques, il y en eu aussi de meilleures, comme cette fois où débarqué le matin même de Barcelone, j’étais aller faire le tour des chinois de la rue du Temple [grossistes en maroquinerie pour l’information]. Déambulant de l’un à l’autre pour dégoter cinq cent sacs d’ordinateurs portables que m’avait commandé la veille un client pressé. Au troisième grossiste, je fis mouche et le soir même mon petit chinois me livra, directement à l’entrepôt du client qui ironie du sort se trouvait à deux pas de là. Moi je reprenais le train ivre de la promesse d’un chèque de huit mille euros ces jours prochains. Et comme le destin n’est pas toujours mauvais et que mon client il est vrai n’était pas vraiment débrouillard, heureux de la première livraison, il porta le nombre de sac à mille, renflouant une bonne fois mes finances qui étaient là encore au plus bas. Quand je rencontrais la directrice du crédit lyonnais qui entre temps avait changé, c’était pour décaisser la première moitié du butin dont j’avais besoin pour payer mon loyer et que je rapatrierais en Espagne. Sa gentillesse m’avait touché et nous nous séparâmes bons amis. Peut-être lui demanderai-je une facilité de caisse quand mon magot serait épuisé? Dehors la neige s’est intensifiée alors qu’ Norton se prépare tranquillement pour la première séance de la journée. J’enfile mon pardessus et descend de l’estrade pour regagner la rue. Ne remontant pas la cinquième avenue mais redescendant la Gran via qui me conduit chez moi.